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Quand, au juste, des “vrais païens” furent-ils admis pour la première fois dans l’Église?
Selon les Actes des Apôtres, cette étape ne vint qu’après une série d’autres. Il y eut d’abord l’ouverture aux Juifs de Jérusalem, ceux de “langue hébraïque” puis ceux de langue grecque (Ac 2-7). Ensuite les Juifs de Palestine : Judée, Samarie et Galilée (Ac 8-9). Puis vint le tour de ceux que Luc désigne comme des “païens” mais qui, en réalité, étaient déjà à demi juifs : ces “craignant Dieu” qui comme Corneille et les siens, partageaient la foi d’Israël et observaient en bonne partie la Loi de Moïse (Ac 10). Ce n’est qu’ensuite que l’évangélisation se risqua du côté des “vrais païens” (Ac 11-14). Ou peut-être est-ce l’Esprit qui la projeta malgré elle vers ces gens qui n’avaient pas connu la Loi juive et dont il fallut encore quelques années pour accepter qu’ils pourraient être chrétiens sans avoir à s’y soumettre (Ac 15).
Si l’on tente de dater les choses, on est situé aux alentours de 45-50, donc 15-20 ans après la mort de Jésus et la première proclamation de la foi chrétienne. 15-20 ans : celle-ci avait donc eu le temps de s’adapter petit à petit à la culture juive, de développer des thèmes, un style et des stratégies aptes à rejoindre des mentalités façonnées par la foi, l’expérience religieuse et la tradition d’Israël. En s’ouvrant aux païens, il fallait en quelque sorte tout reprendre à neuf.
On en a une idée en comparant deux des discours de Paul que Luc rapporte dans les Actes : le discours aux Juifs à la synagogue d’Antioche de Pisidie (Ac 13, 16-41) et le discours aux païens à l’Aréopage d’Athènes (Ac 17, 22-31). Peut-on imaginer deux prédications plus différentes au service du même Évangile ? Assurément, ces discours furent rédigés longtemps après les événements. Mais, à partir de ce que l’on sait par ailleurs, il y a tout lieu d’y voir des échantillons typiques de la prédication chrétienne en milieux juifs et en milieux païens.
Ainsi, on constate que le discours d’Athènes reflète ce que, dès sa première lettre, au début des années 50, Paul décrivait comme démarche caractéristique de païens venant à la foi :
On raconte là-bas comment vous vous êtes tournés vers Dieu en vous détournant des idoles, pour servir le Dieu vivant et vrai et pour attendre des cieux son Fils, qu’il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient. (1 Th 1, 9-10).
Ce sont là, exactement, les thèmes du discours à l’Aréopage : l’opposition entre le vrai Dieu et les idoles païennes (Ac 17,24-29), le jugement (17, 30-31a) et la résurrection de Jésus (17, 31b).
N’est-il pas étonnant que la proclamation de la résurrection vienne ainsi en dernier ? Pour des païens comme pour des Juifs, le mystère pascal ne constitue-t-il pas l’essentiel de la nouveauté chrétienne ? Assurément. Mais comment aurait-on pu proclamer cela en premier chez des “païens qui ne connaissent pas Dieu ” ?
Il fallait commencer par le commencement. Dans une culture où pullulaient idoles et divinités, il fallait d’abord faire accepter la foi en un Dieu unique. Après seulement, on serait en mesure de proclamer que ce “Dieu vivant et vrai” avait ressuscité Jésus d’entre les morts, ouvrant ainsi à tous les portes de l’espérance.
Chez les païens comme chez les Juifs, c’est à cette bonne nouvelle qu’il s’agissait d’arriver. Mais ce ne pouvait être que par des chemins entièrement différents. Dans un cas, la nouveauté chrétienne était à situer en relation avec la foi, l’espérance et l’héritage d’Israël. À des gens qui croyaient en Dieu et aux merveilles qu’il avait déjà accomplies, il importait de faire voir dans l’Événement Jésus l’intervention décisive de Dieu, la réalisation tant attendue de son dessein et l’accomplissement des Écritures : “La promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie en notre faveur à nous, leurs enfants, quand il a ressuscité Jésus” (Ac 13, 32). Chez les païens, par contre, on ne pouvait miser sur rien de cela.
On comprend alors que l’évangélisation ait hésité un bon moment avant de s’ouvrir à eux. Sans doute les réserves étaient-elles fondées en bonne partie sur des motifs d’ordre théologique : est-il possible, pour des gens qui n’observent pas la Loi et qui ignorent les Écritures, d’avoir accès au salut de Dieu ? Mais peut-être reculait-on aussi devant l’investissement énorme que cela représentait du point de vue pastoral. Après quinze ans d’efforts, d’échecs et de reprises, le message chrétien était parvenu à s’adapter à une culture donnée. On avait appris comment parler à des Juifs, on savait où les rejoindre, on avait sélectionné les références scripturaires, développé les thèmes théologiques, mis au point les arguments les plus susceptibles de convaincre. Faudrait-il donc renoncer à tout cet acquis et recommencer à neuf dans une culture complètement étrangère à cet héritage religieux ? Pour la première fois, l’Église se trouvait devant la dure épreuve quelle connaîtrait périodiquement au cours des âges : l’ascèse des recommencements et de l’adaptation culturelle.
C’est ainsi que le discours d’Athènes, telle ou telle lettre de Paul, telle ou telle reformulation des paroles de Jésus par Marc ou Luc, s’avèrent éclairants. Auprès d’esprits grecs, ignorants de la révélation biblique, la proclamation chrétienne doit s’adapter, sous peine de n’être pas comprise. Les gens ne connaissent pas Isaïe, ni Jérémie, ni les Psaumes ? Eh bien, citons-leur plutôt l’un de leurs poètes (Ac 17, 28) et plus tard, éventuellement, nous pourrons les introduire aux Écritures. Les gens ne pourraient guère comprendre l’expression biblique “image de Dieu” ? Empruntons l’une de leurs formules : “Nous sommes de sa race” (Ac 17, 28).
Autant le discours à la synagogue d’Antioche (Ac 13) est tout farci de références à l’Écriture, autant, quelques chapitres plus loin (Ac 17), celui d’Athènes en est totalement dépourvu. Et pourtant, la pensée qui s’y exprime est biblique d’un bout à l’autre. L’essentiel est que rien ne se perde dans le processus de transposition, de repensée et de reformulation de la foi auquel doit se soumettre l’évangélisation en passant d’une culture à l’autre.
Le discours d’Athènes témoigne encore d’une autre chose bien précieuse. Toute culture, quelles que soient les limites et les ambiguïtés qu’on puisse y déceler, comporte toujours quelque chose de positif. Ainsi Paul, à la vue de toutes les idoles encombrant Athènes, sent-il monter en lui l’indignation (Ac 17, 14). Mais, derrière cette prolifération, derrière des attitudes et des conceptions fausses qui matérialisent la divinité et fabriquent des dieux à mesure humaine, ne faut-il pas voir une sorte de pressentiment du divin, l’attente d’un plus, une soif d’absolu ? C’est de là qu’il faut partir, c’est sur ces valeurs dégagées de leur gangue qu’il faut miser : “Athéniens, vous êtes, je le constate, les plus religieux des hommes !” (Ac 17, 22).
Le discours d’Athènes parle encore de patience et du sens des priorités. Avant de parler de l’Église, des sacrements, de la morale, de Jésus Christ lui-même et de la résurrection, il importe, dans un certain type de culture, de faire retrouver d’abord le sens de la transcendance et du sérieux de Dieu. Peut-être sera-t-on tenté de brûler malgré tout des étapes, d’escamoter les longs préambules pour en arriver au plus vite à l’essentiel. On risque alors de tout compromettre : “Nous t’entendrons là-dessus une autre fois” (Ac 17, 32).
“À maintes reprises et de bien des manières” (He 1, 1) : si Dieu lui-même a procédé ainsi, pouvons-nous nous en tirer autrement ?
Michel Gourgues, o.p.